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Séminaire Paris au Moyen Âge du 24 mai 2024 [4] : « Hygiène et propreté de la ville »

Isabelle Foucher, « Les ressources du fonds du Châtelet pour l’histoire de l’hygiène et de la propreté à Paris au Moyen Âge »

Isabelle Foucher est responsable du fonds du Châtelet aux Archives nationales et a une bonne connaissance des fonds des XVIIe-XVIIIe siècles. Il y a peu de documents pour le Moyen Âge, mais les instruments de recherche et des documents originaux médiévaux sont actuellement en ligne (Livres de couleur ou Livres de bannières). La numérisation des registres de la prévôté est en cours. 

Les Livres de couleur (cf. inventaire en ligne : Y//1–Y//6/6) sont appelés ainsi parce qu’ils avaient à l’origine des reliures de couleurs ; elles sont à présent refaites. Ce sont des recueils d’ordonnances, d’arrêts au Parlement majoritairement du XVe siècle. Ces registres sont destinés au procureur du roi. Ils ont parfois des actes antérieurs, mais la collection a été constituée aux XIVe-XVe siècles à partir d’actes de l’autorité royale, d’ordonnances et de jugements de la prévôté, d’arrêts du Parlement. Il s’agit de documents de doctrine et de jurisprudence qui traitent des métiers, des maîtrises et des jurandes, qui contiennent des enquêtes, des avis ou des contestations. On y trouve des ordonnances de police et de voirie concernant les oisifs, les mendiants, les cabarets, les prostituées, les juifs, l’enlèvement des boues et des immondices. Il y a aussi des lettres de sauvegardes des abbayes et des communautés religieuses et hospitalières. Ils contiennent aussi des documents d’histoire du droit (style du Châtelet), des ordonnances d’intérêt général (traités de paix) ou des conflits de juridiction. Il y avait dix-huit registres à l’origine, mais il n’en reste que six à la Révolution. Après en avoir récupéré cinq, il y en a à présent onze aux Archives nationales (plus les cotes Y//85 et KK 1336). Il y a également des extraits et des copies.

Les Bannières forment une série continue pour la période XVIe-XVIIe siècle (Y//7-Y//18). Elles sont rattachées au greffe des insinuations et publications. Quelques textes sont consacrés à la voirie, à l’hygiène et la propreté.

L’inventaire d’Alexandre Tuetey (Inventaire analytique des livres de couleur et bannières du Châtelet de Paris, 2 vol, 1899-1907) a été mis en ligne.

Les livres de couleur : https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/IR/FRAN_IR_060479

Les bannières : https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/IR/FRAN_IR_060478

Caroline Bourlet, « Salubrité, hygiène et propreté urbaine à Paris au Moyen Âge »

Hélène Noizet qui devait intervenir sur le sujet n’a pas pu être présente et a communiqué son texte à Caroline Bourlet.

Salubrité, hygiène et propreté à l’aune de la perception qu’en avaient les hommes du temps

Dans l’historiographie, propreté, salubrité et Paris ne font pas toujours bon ménage. Les contemporains et les chroniqueurs de l’époque moderne sont très négatifs sur la propreté de Paris notamment au XVIIIe siècle, comme on le constate avec le Tableau de Paris de Louis-Sébastien Mercier (https://gallica.bnf.fr/essentiels/mercier/tableau-paris). On trouve également des critiques littéraires de la saleté de Paris dès le XVIe siècle par des étrangers qui déplorent la présence de boues et les mauvaises odeurs. On y insiste sur l’étymologie de Lutèce. Pour le Moyen Âge, existe au contraire une tradition des éloges de Paris (cf. Boris Bove). Le roi est moteur dans la production d’une impression positive sur la ville. Il y a des standards de présentation qui font l’éloge de la capitale, ville royale. Dans les archives, les ordonnances de police par le roi, les prévôts de Paris ou le Parlement témoignent de l’intérêt des autorités pour la salubrité de la capitale. Au-delà de Frédéric Lecaron à la fin du XIXe siècle, des historiennes et des historiens se sont penchés sur la question de la salubrité (cf. François-Olivier Touati, « Un mal qui répand la terreur ? : Espace urbain, maladie et épidémies au Moyen Âge ». Histoire urbaine, 2000/2 n° 2, 2000. p. 9-38 [https://shs.cairn.info/revue-histoire-urbaine-2000-2-page-9?lang=fr] ; Janna Commans, Community, Urban Health and Environment in the Late Medieval Low Countries, Cambridge University Press, 2021) ou de la voirie (cf. Katia Weidenfeld, La police de la petite voirie à paris et à la fin du moyen âge, 1996 ; Léa Hermenault, La ville en mouvements : circulations, échanges commerciaux et matérialité de la ville : pour une articulation systémique des facteurs d’évolution du tissu urbain parisien entre le XVe et le XIXe siècle, Thèse de l’université Paris 1, 2017).

Comment ont été pensées les politiques de salubrité au Moyen Âge ? Elles sont limitées car fondées sur la théorie des humeurs et sur les infrastructures. L’idéal est celui d’un flux sans entraves. Une analogie est faite entre le corps urbain et le corps humain. Il faut distinguer entre ce qui relève de la salubrité et de l’hygiène publique. Le domaine de l’hygiène est plus vaste à l’époque. Paris est la tête du royaume. La manière dont les médiévaux pensent le corps a un rapport avec la manière dont ils pensent la ville.

Corpus des documents qui s’occupent de salubrité publique

Seuls les registres de couleur sont utilisables : des copies d’actes d’autorité émanant du roi, du prévôt de Paris et du Parlement ; des ordonnances de police, des cris publics, des actes d’autorité internes en direction du personnel de la prévôté pour encourager au contrôle à l’exécution des décisions par les Parisiens. Cela concerne les activités de la Prévôté de Paris et rassemble une législation que le procureur qui représente le roi en justice a besoin d’avoir. Dans les registres du Châtelet, il y a 76 actes : 53 émanant du prévôt de Paris, huit du Parlement, onze du roi.

L’hygiène à Paris pose problème. Les porcs en liberté par exemple sont des dangers potentiels. Un d’entre eux a provoqué la mort accidentelle de Philippe de France en 1131. Au début du XIIIe siècle, Philippe Auguste est intervenu dans la question de la salubrité, reliant la mauvaise odeur à la mauvaise santé. Dans le Livre des métiers dit du Châtelet (BNF, Fr 24069), on trouve une mention de cri demandant à chacun de nettoyer les rues devant sa maison (f. 229v). Les raisons d’intervenir sont détaillées dans le préambule d’une ordonnance de Charles VI du 1er mars 1389. C’est le moment où le prévôt Audouin Chevron est parti et où Jean de Folleville vient d’être nommé prévôt. Il s’agit d’une ordonnance de réformation. On y trouve la mention de la délégation au prévôt de Paris de la « cure et gouvernement de nostre bonne ville de Paris, pour icelle tenir et garder en telle et si bonne justice, ordonnance et police de toutes choses ». Le nouveau prévôt doit tenir l’honneur du roi et de la ville et mettre fin aux dysfonctionnements, préjudices et autres périls. Il doit réagir contre les entraves à la circulation, les difficulté d’approvisionnement, les saletés et les boues qui provoquent des maladies et la mort. C’est un véritable programme sanitaire. Ces arguments sont repris dans les ordonnances suivantes, mais jamais de manière aussi structurée.

Les autres ordonnances de salubrité s’intéressent à la libre circulation sur la Seine et aux égouts de Paris, dans lesquels il faut enlever les gravats. Des ordonnances visent des activités jugées dangereuses : la prostitution, les jeux qui engendrent des rixes, certains métiers (barbiers, tanneurs, taverniers), la baignade dans la Seine l’été (risques de noyades), les seaux d’eau installés devant les portes en cas d’incendie, ainsi que toutes les populations considérées comme malades ou dangereuses (lépreux, mendiants et vagabonds (cf. en 1416), juifs avant l’expulsion de 1394). Il y a aussi des ordonnances qui organisent le guet et la surveillance des rues la nuit, parfois accompagnées de l’obligation d’éclairer devant chez soi. Il faut une ville saine pour ses habitants. Tout cela relève peut-être d’une hygiène sociale.

Concernant les boues, les immondices et les gravats, il y a la nécessité de nettoyer la rue devant son huis. La plupart des ordonnances s’adressent à tous les habitants de Paris, même les privilégiés. Pour les boues et immondices, il est obligatoire de nettoyer et de ramasser devant chez soi, mais pas sous la pluie. Les habitants doivent avoir un panier pour récupérer les déchets et louer ensuite un éboueur qui vient avec un tombereau pour retirer les ordures et les porter hors de la ville. Ils doivent également réparer la chaussée et il leur est interdit de jeter les déchets dans la Seine ou dans la rue. Où vont les déchets ? Il y a des fosses autour de Paris qui sont plutôt d’origine privée ou des fosses creusées dans les jardins ou les sous-sols, mais aussi des espaces hors de la ville sur des terrains appelés « voiries » pour accueillir les immondices et les boues. Où vont les déchets de chantier (gravois) ? Les déchets organiques (immondices et boues) peuvent être réutilisés comme engrais. Y a-t-il un recyclage ? Les voiries sont en dehors des remparts dans les parties basses proches du mur du XIVe siècle, mais pas à proximité immédiate. Elles ont été acquisses par le roi. Sur la rive droite, on les trouve au niveau des portes à Saint-Antoine, à la Porte du Temple, à Saint-Martin, à Villeneuve-sur-Gravois (pour les gravats), à la butte aux moulins ; sur la rive gauche, à L’estrapade. Elles sont fermées quand elles sont pleines. Elles ont laissé des traces sous forme de buttes qui ont ensuite servi pour accueillir des moulins.

Quelle est l’efficacité des ordonnances ? La répétition des mêmes injonctions montre que ce n’est pas efficace. La monarchie et le prévôt de Paris n’ont pas les moyens de leur politique. C’est difficile à prendre en charge individuellement. Katia Weidenfeld en étudiant les registres de justice pour la petite voirie (Saint-Germain-des-Prés, Saint-Eloi, Temple) montre que beaucoup de gens jettent des petites choses. Il y a des condamnations contre les maçons et les voituriers qui jettent énormément de choses. Les voituriers collectent les ordures, mais il y a un problème d’encombrement. Les autorités s’adaptent. Elles encouragent les riverains à protester. Le prévôt de Paris accueille les plaintes des riverains, ce qui permet de régler les problèmes. Quand cela ne se règle pas, par exemple pour la place Maubert, c’est l’autorité publique qui la nettoie contre une taxe payée par les riverains.

Discussion

Boris Bove (BB) : Où sont conservés les 76 actes ?

Caroline Bourlet (CB) : Ils sont répartis dans les onze registres, mais il y a aussi des extraits connus par l’inventaire de Tuetey.

BB : C’est tout l’intérêt d’avoir le séminaire Paris au Moyen Âge directement aux Archives nationales. On a accès directement aux informations, notamment au projet collectif sur les registres du Châtelet. Le livre de Janna Commans a l’air intéressant pour nous et il faudrait en faire un compte-rendu pour le séminaire. La métaphore du corps est plus qu’une métaphore. Les hommes et femmes du Moyen Âge pensent la société comme un corps. C’est plus qu’une analogie : il s’agit d’un emboîtement de niveaux. Charles VI est malade en 1395. La santé du roi et la santé de la ville, c’est pareil. La ville va se dérégler comme le roi (cf. Eustache Deschamps).

CB : Des processions sont organisées pour la santé du roi.

BB : Quand le roi déraille, la ville aussi (voir les travaux de Claude Gauvard).

CB : Pour les métiers, on a un registre de la fin du XIIIe siècle, un autre de la fin du XIVe et un autre de la fin du xve. Les ordonnances fonctionnent au rythme des métiers, des évolutions de ceux qui travaillent. Peut-être est-ce lié à un cycle économique ?

Isabelle Foucher (IF) : La police au XVIIe et XVIIIe siècles concerne le gouvernement d’une ville. Cela concerne aussi l’économie et la sûreté. Il y a aussi des cycles où on veut tenir la ville politiquement après des événements difficiles.

BB : Est-ce que cela vient du haut ou du bas ?

IF : Il faut policer la ville dans tous ses aspects. Il y a un lien entre les lépreux, les mendiants, les juifs et les immondices.

BB : Dans sa présentation de Philippe-Auguste, Rigord détaille l’histoire d’une purification. C’est le bon gouvernement.

Agnès Lavoye (AL) rappelle qu’une exposition sur l’hygiène au Moyen Âge a été reprise pour les 25 ans de l’ouverture au public de la Tour Jean-sans-Peur à Paris [https://tourjeansanspeursite.wordpress.com/]. Il y a une ordonnance de Charles VI sur les latrines construites en fosses. Les archéologues font des recherches sur les fosses à latrines (cf. INRAP).

CB : Le prévôt de Paris ne s’occupe pas de l’intérieur des maisons. Quel est le pourcentage de latrines à Paris au XVe siècle ? Comment s’organisent les latrines ? Dans les maisons, il y a beaucoup de monde, notamment dans les maisons de rapport.

IF : Il y a les vidangeurs.

CB : Les boues, cela peut être ça. La question des latrines est importante.

Cléo Rager (CR) : À Venise, dans chaque maison, il y avait des latrines qui donnaient sur les canaux. Des vidangeurs passaient régulièrement.

CB : Nicolas Lyon-Caen (A vos poubelles, citoyens !) met en évidence un système de collecte.

CR : Si c’est précieux pour les cultures, pourquoi cela reste en place ?

AL : Que contiennent les immondices ? Il y a beaucoup de plaintes que les déchets tombent des tombereaux dans la rue.

CB : Il y a le problème des immondices et des gravats. On a interdit les animaux dans Paris.

Benoît Descamps (BD) : Place Maubert sont installés des marchands forains. Les vidangeurs de latrines sont appelés « maîtres fifi ».

CR : À Troyes, il y a cinq voiries. Dans les villes, on remarque un pic énorme de législation concernant l’hygiène et la salubrité dans la seconde moitié du XIVe siècle. L’interdiction des cochons et l’enlèvement des immondices, c’est une façon de mettre la main sur un espace. Les habitants résistent à ces injonctions comme à Troyes. La voirie permet au roi d’intervenir sur plein d’acteurs.

CB : La petite voirie concerne l’usage des rues et leur entretien. Les juridictions particulières ont renoncé à légiférer, mais elles gardent la justice.

CR : Y a-t-il des instances infra-municipales ?

BB : Comme c’est ingérable, une forme de régulation se met en place. Il n’y a aucune épidémie signalée à Paris, à part la peste, sauf pendant la guerre civile.

CB : La peste aurait entrainé la législation en matière d’hygiène. Cette idée a été remise en question par Commans ou Touati. Les principes étaient là, mais avec l’accumulation de la population, cela devient nécessaire. C’est pareil pour l’autonomie des villes ?

BB : On ordonne de paver Paris sous Philippe-Auguste, en 1348, sous François Ier. Dans ce cas, c’est lié à la peste.

CB : La question de la pureté entraine l’expulsion des gens considérés comme impurs. À quel moment on expulse les « sans aveux » ?

BB : Pour eux, c’est une seule et même chose.

CR : D’après un article de Commans sur le voisinage, les altercations entre voisins entrent dans le même cadre de trouble du corps social.

BB : Il y a la question des quartiniers.

CB : Il faudrait faire une étude par quartier.

IF : Et le guet bourgeois.

BB : À la fin du XVe et au XVIe siècle, il y a un lien systématique à Rouen entre les boues et les épidémies.

Kouky Fianu (KF) a dirigé un doctorat sur les traités de paix. Les traités parlent de politique et pas de peste. On parle des ennemis qui changent avec le temps. La peste est liée à ce qu’il se passe dans le royaume.

Journée d’étude : le 7 juin 2024 : « Paris et les bonnes villes. Urbanité et consensus religieux. XIIIe-XVIe siècles, espaces septentrional et méridional ‘français’ ».

Séminaire_Paris au Moyen Âge_20240524


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Marlène Helias-Baron (17 janvier 2025). Séminaire Paris au Moyen Âge du 24 mai 2024 [4] : « Hygiène et propreté de la ville ». Les carnets de l'IRHT. Consulté le 17 février 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/133k8


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