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Séminaire Paris au Moyen Âge du 24 janvier 2025 [2] : « De la carrière au chantier (séance 1) »

Michael Wilmart : : « ‘Et par la terre entour Paris, on prant le plastre à grant foison’ : l’exploitation et le commerce du plâtre parisien à la fin du Moyen Âge (XIIIe-XVe siècle) »

Michael Wilmart est ingénieur d’étude au Centre de recherches historiques (CRH-UMR 8558-CNRS-EHESS). Il est intervenu sur ce thème dans le cadre du colloque « Le plâtre à Paris et dans sa banlieue du Moyen Âge au début du XIXe siècle : matériaux, acteurs, lieux. Autour du fonds de transcriptions Legagneux – 6 et 7 juin 2024 ». Ce colloque a été organisé à la suite du legs au CRH des archives de Michel Legagneux en janvier 2022. Ce chercheur avait dépouillé plus de 10 000 documents concernant principalement les carrières à plâtre de Belleville (Paris) (XIIIe-XIXe siècle) et conservés majoritairement aux Archives nationales (Minutier Central des notaires). Le CRH a mis en forme les données pour les rendre accessibles sur la plate-forme Huma-Num (https://carrieres-belleville.huma-num.fr/).

Du Moyen Âge à l’époque moderne, Paris et ses marges sont grignotés par le creusement de carrières de gypse. La dangerosité de cette activité a été mise en lumière lors d’effondrements d’immeubles dans les années 1770, notamment à Belleville en 1778. Cette activité parisienne est connue depuis longtemps. Par exemple, quand Barthélémy l’Anglais († 1272) esquisse une géographie des ressources dans son Livre des propriétés des choses, il précise qu’en Flandre on exploite la tourbe et qu’à Paris et en Île-de-France, c’est le gypse qui est exploité pour être transformé en plâtre. Son approche est nouvelle puisqu’il est intéressé par la géologie et par l’importance des montagnes pour l’exploitation des minerais. Cette approche est partagée par son contemporain, Albert le Grand († 1280), qui est descendu en Allemagne dans les mines pour observer les pierres. Il avait peut-être fait la même chose à Paris. L’exploitation du plâtre est quelque chose qui se voit dans le Paris des années 1220. Les plâtrières et les chariots de pierres animent une ville en transformation. On trouve des carrières dans les environs de la Montagne Sainte-Geneviève. Les sources sont difficiles à appréhender pour la période médiévale comme le montre le fonds de Michel Legagneux. Il y a des comptes de construction, des règlements de métiers, des documents issus de la municipalité, des actes judiciaires et notariés. L’ensemble est éparpillé et lacunaire.

Les carrières de gypse ont pour mission d’alimenter Paris en plâtre. Avec l’essor de la ville, l’installation de la cour et de l’université, sortent du sol des palais, des riches demeures, des collèges, des églises dont la cathédrale Notre-Dame. Ces constructions et les réparations des cloisons en bois et en plâtre nourrissent une activité florissante autour du gypse et du plâtre. Le plâtre reste le parent pauvre de l’historiographie. Il y a eu depuis longtemps un intérêt plus fort pour les carrières de pierres, comme en témoignent les travaux de Marc Viré. La géographie parisienne de l’extraction montre un Paris coupé en deux : l’extraction des pierres de calcaire se fait en rive gauche et celle du gypse à plâtre en rive droite, au nord autour de Montmartre. Ce sont deux secteurs séparés et spécialisés qui témoignent de la croissance urbaine. Cela entraîne une modification de l’environnement : les vignes sont sacrifiées pour ouvrir des carrières à Montmartre ou sur la Montagne Sainte-Geneviève. Elles sont aussi grignotées par l’urbanisation, comme le Clos Bruneau. Des carrières sont ouvertes autour du gibet de Montfaucon en 1254 et 1263. Ce sont des exploitations provisoires puisqu’il est prévu dans les actes qu’après la fermeture des carrières, les vignes doivent être réinstallées. Autour des carrières, on trouve des friches et des déversoirs de déchets. Quel est leur impact environnemental ? Ces secteurs sont ensuite urbanisés.

Rapidement, les carrières de pierres calcaires de la rive gauche ne suffisent plus et il faut aller chercher la pierre plus loin. Les carrières de plâtre de Montmartre et de Belleville suffisent-elles ? Elles ont été exploitées jusqu’au XIXe siècle. Les sources ne permettent pas de savoir si les carrières suffisent aux besoins. Paris est au centre d’une région dans laquelle elle tisse des liens étroits avec des villes satellites ; le traducteur de Barthélémy l’Anglais parle des terres entour Paris. Au sud de Paris, l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés tire un revenu de 12 livres de ses terrières de Cachan. Il y a des plâtriers mentionnés à Gentilly aux XIVe et XVe siècles. Les archives du bureau des aides laissent entrevoir des apports extérieurs. En avril 1460, est mentionné par exemple un voiturier apportant des environs de Pont-de-L’arche une cargaison de plâtre cru. Le filon de gypse qui traverse le Bassin parisien est exploité dès époque médiévale. Les comptes des chanoines de la Sainte-Chapelle de Vincennes évoquent plusieurs lieux d’approvisionnement pour les travaux de leur hôtel de Champs-sur-Marne : Gournay et Chelles pour le plâtre cuit, Lagny-sur-Marne pour le plâtre cru. On remarque une certaine difficulté pour transporter ces matériaux qui nécessitent la mobilisation d’un charretier pendant six jours. Les entrepreneurs de chantiers vont chercher le plâtre là où il est disponible. Ce plâtre est transporté par bateau. Dans une ordonnance de 1416, un article concerne la réglementation de la circulation par bateau du plâtre cru par la vallée de la Marne. Il y a l’interdiction de le vendre entre la ville de chargement en amont et Paris. On y trouve deux ports de débarquement pour le plâtre cru : l’île Louviers et le quartier Saint-Paul. Le plâtre ne doit pas passer les ponts de Paris, mais cela concerne d’autres matériaux. On remarque nettement l’assise de Paris sur les ressources d’une région mise en réseau pour son service. Marc Viré notait qu’à partir de la fin du XIIIe siècle les carrières de pierre de Paris ne suffisent plus. En 1500, on fait appel aux carrières localisées à Senlis et à Meaux pour la reconstruction du pont Notre-Dame.

La circulation du plâtre souligne l’importance des plâtrières ; tout le gypse extrait (plâtre cru) n’est pas destiné à faire du plâtre, mais il peut servir à faire des fondations, comme cela a été vu lors des fouilles rue des Archives. L’usage du gypse pour les fondations disparaît au XVIe siècle, peut-être à cause de la disparition du savoir-faire, sachant que le gypse fond s’il y a de l’eau qui s’infiltre. Les plâtriers appartiennent à un métier organisé dans le Livre des métiers d’Étienne Boileau. Ils sont au service des chantiers avec les maçons et les tailleurs de pierre. Ils fournissent du plâtre aux maçons qui en ont besoin. Il y a entre eux un lien hiérarchique. Ils sont mieux connus que les carriers à l’époque médiévale, grâce à des baux, des archives judiciaires, des comptes des chantiers. Ils sont payés pour la transformation du matériau et l’achat de gypse. La filière plâtre se compose d’un extracteur (carrier), d’un transformateur (plâtrier) et d’un utilisateur (maçon).

On trouve des plâtrières dans toute la ville, principalement dans les faubourgs. Il y a une présence sensible de la production de plâtre à Paris. La plâtrière est le lieu où on cuit et où on bat le plâtre, ce qui suppose un espace de transformation et un four. Elles sont très présentes sur la rive droite dans le quartier Saint-Antoine qui permet un accès facile aux carrières de Belleville et de Montmartre. On en trouve également vers le Louvre, Saint-Germain l’Auxerrois ou Saint-Eustache. Dans certains cas, leur activité ne dure pas longtemps et sont liées à des chantiers. Vers 1360, il y en a une à l’extérieur de la porte Saint-Antoine sur un terrain occupé ensuite par l’hôtel Saint-Paul. Vers la porte aux Chaumes, on trouve une autre plâtrière transformée en Maison-Dieu dès 1350. Les plâtrières situées sur la rive gauche sont tout aussi éphémères : dans la paroisse Saint-Étienne-du-Mont, dans la rue de la Huchette (transformée en habitation vers 1420). Certaines plâtrières sont fixes et ont une activité qui peut se maintenir sur plusieurs générations. Éphémères ou fixes, elles alimentent en plâtre les chantiers avoisinants. Les maîtres d’œuvre s’adressent à des plâtriers du voisinage pour diminuer les frais de transport. Plusieurs lettres de rémission décrivent le processus comme dans une lettre de 1376. Après s’être mis d’accord sur une certaine quantité de plâtre à livrer, le plâtrier a emprunté le cheval de son commanditaire et a eu un accident qui a provoqué la mort d’un enfant. En 1384, un autre plâtrier a reçu l’ouvrier de son commanditaire venu chercher une commande en retard à cause d’une charrette non disponible. Ces lettres témoignent d’un métier en tension. Dans les contrats de commande, on impose au plâtrier des amendes en cas de retard de livraison. Pour ne pas interrompre le travail, il y a donc besoin de multiplier les sources d’approvisionnement. Se remarque également une saisonnalité des prix. Les prix sont plus élevés en hiver à cause du prix du bois qui augmente.

L’histoire sociale de ces professionnels est difficile à faire. D’après les contrats de mariage et les héritages, apparaissent des liens familiaux entre plusieurs métiers. Les carriers et les plâtriers se fréquentent, les maçons également. Les carriers font aussi affaire avec des laboureurs. Ils ont des liens avec les charretiers. Les carriers apparaissent comme une interface entre le monde urbain et le monde périurbain et rural. Le travail en carrière et en plâtrière est dévalorisé (cf. François Villon). Les plâtriers dits marchands sont socialement au-dessus des carriers. Les batteurs de plâtre sont plutôt des manouvriers. Il y a des exemples d’ascension sociale par le plâtre. Par exemple en 1492-1496, Arnoul Lecoq passe de jardinier à marchand plâtrier. Il est à l’origine d’une dynastie de plâtriers parisiens jusqu’au XVIIIe siècle. On voit également des parcours d’individus venant de villages proches ou lointains pour travailler comme plâtriers à Paris. Colin Simon, actif dans le faubourg Saint-Antoine et à Bagnolet v. 1490, était natif d’un village à côté de Saint-Dié-des-Vosges. Il donne sa carrière à l’abbaye de Saint-Antoine en en gardant l’usufruit contre la demande de prendre soin de lui lorsqu’il ne pourra plus travailler. Ainsi, un carrier peut être propriétaire de sa carrière, mais d’autres ont conclu des baux pour les exploiter. Il y a une libéralisation plus précoce des carrières de gypse que des carrières de pierres qui restent entre les mains des établissements ecclésiastiques.

L’économie du plâtre repose sur une structure hiérarchisée et structurée (carrier / plâtrier / maçon) ; elle doit être pensée dans sa diversité (plâtre cru / plâtre cuit) et dans une géographie élargie entre le gypse exploité dans le Nord de Paris et celui qui arrive par voie fluviale. La question environnementale est importante pour cette activité : des terres à vigne sont sacrifiées et le vignoble est mité par des carrières ; la production de plâtre aux XIVe-XVe siècles est très visible dans la ville, avant d’être repoussée à la périphérie à l’époque moderne. Il y a aussi la question des nuisances (fumée, poussière).

Discussion

Boris Bove (BB) : La typologie des sources utilisées est extrêmement variée. À quoi ressemble une plâtrière ? Battre le plâtre qu’est-ce que cela veut dire ? À quoi ressemblent les fours ?

Denis Goguet (DG) : Les moellons de plâtre sont mis dans un four pour être cuits pendant 8 à 10 heures, puis ils sont battus et mis en sac.

Michael Wimart (MW) : On le sait pour l’époque moderne d’après les sources écrites et l’iconographie.

DG : C’est un métier frustre. Pendant tout le Moyen Âge, on creuse et quand on a fini l’exploitation, on rebouche, on se déplace et on recommence plus loin.

BB : Plusieurs documents envisagent de replanter la vigne. Comment on fait concrètement ?

MW : Aujourd’hui quand un industriel rend la terre, il doit la remettre en état. Il y a donc une remise en état des terres après l’exploitation du gypse. Pour ce dernier, il y a quatre masses différentes.

Caroline Bourlet (CB) : Ce sont des carrières à ciel ouvert. Concernant les matériaux, tout n’est pas gardé. Quand on a creusé on met de côté ce que l’on n’utilise pas. Quels sont les déchets ?

DG : On parle de décombrer. Parmi les déchets, il y a de l’argile qui intéresse les tuiliers. Les estampes des XVIIe-XVIIIe siècles concernant la grande banlieue montrent des carrières non recouvertes.

BB : Est-ce que l’on a des exemples de vignes replantées ?

MW : Autour de Montfaucon, c’est un véritable paysage lunaire avec les carrières et les voiries. Les voiries sont d’anciennes plâtrières.

DG : L’obligation de replanter est un vœu pieux. Il y a aussi des écorcheries pour les bêtes mortes à Montfaucon.

CB : Qui sont les propriétaires des terres données à bail pour creuser des carrières ?

MW : Les établissements ecclésiastiques.

CB : Les carriers et plâtriers ne sont généralement pas propriétaires, tout comme les carriers de pierres.

MW : Les carriers de gypse sont des tenanciers. Les carrières de pierre sont moins éparpillées et entre les mains des établissements ecclésiastiques comme l’a montré Marc Viré. Pour les carrières de pierres, on a des contrats avec les maîtres d’œuvre.

DG : Concernant les usages du plâtre, les façades en sont couvertes à Paris (cf. Matthieu Paris). Paris apparaît aux voyageurs comme la ville du plâtre.

Hélène Noizet (HN) : Les différents usages du plâtre pour la construction sont-ils mentionnés dans la documentation ?

MW : Dans les comptabilités, les mentions sont génériques. Les fondations ne sont jamais mentionnées dans la documentation. Cet usage a été vu par les fouilles archéologiques.

Benoît Decamps : L’usage de ces moellons, serait-ce une réutilisation des rejets ?

Anaïs Baron (AB) : Y-a-t-il eu des usages funéraires du plâtre ?

MW n’a pas regardé les usages funéraires. Dans les comptes de 1365 des travaux du Louvre, on rachète des pierres tombales au cimetière des Innocents pour construire des marches. Il y a un recyclage des pierres.

AB : Quelles sont les techniques ? Il y a une énorme demande pour la construction à Paris. Y a-t-il eu une pression pour rendre le battage du plâtre plus efficace ? Est-ce que le plâtre peut servir à protéger contre les incendies ?

MW : On ne sait pas pour les techniques. On ne sait pas combien il y avait d’ouvriers dans les plâtrières. On voit les batteurs. Pour la protection contre les incendies, dans les ordonnances de l’époque moderne, l’usage du plâtre est obligatoire.

DG : Dès la fin du XVe siècle, cet usage est mentionné. Le plâtre est utilisé pour éviter les incendies. Ces derniers sont rares à Paris.

BB : Les façades plâtrées sont mentionnées dans une chronique du XIIIe siècle. Dans les miniatures, on voit des représentations de maisons à colombages pour Paris.

CB : Quelle est la surface nécessaire à un plâtrier ? Il faut entreposer le gypse et avoir de la place pour un four. C’est le problème de l’installation des plâtrières dans la ville. On y trouve de nombreuses rues du plâtre ou de la plâtrière…

Geneviève Étienne (GE) : L’occupation au sol n’est pas très importante. Dans la censive du Temple, il y a eu deux plâtrières successives, mais elles ne sont pas grandes. Elles ont très vite disparu.

MW : Ces plâtrières se composent d’une maison, d’une cour et d’un four. Tous les jours, ils vont à la carrière ; il y a aussi le problème du bois. Cela devait circuler en permanence dans la ville, sur la Seine et par charriot.

BB : En périphérie, l’approvisionnement est sans doute simple. La rue de la Huchette correspond à une zone de faible densité.

MW : Il y a la proximité des chantiers. Ce sont des zones de croissance urbaine.

BB : Dans les périphéries : La Trinité, Saint-Paul, à proximité du port. C’est toute la ville qui est en chantier. C’est la construction ordinaire qui consomme du plâtre. Ce ne sont pas les bâtiments chics qui font le succès du plâtre.

BD : Il y a des cloisons en plâtre dans les demeures princières, mais c’est plutôt la pierre qui est utilisée.

GE : La première plâtrière du Temple est liée à l’urbanisation de la censive pour des maisons plutôt pauvres.

AB : Y-a-t-il des mentions de la chaux dans la documentation ? Quand est-elle utilisée ? Est-ce une utilisation similaire ?

MW : Le plâtre peut permettre de construire des parois, mais pas la chaux.

Denis Goguet : « Les premiers sites d’extraction de la pierre à plâtre au nord et à l’est de Paris (XIIIe-XVe siècles) : étude topographique ».

L’enluminure de Jean Fouquet présentant la charité de saint Martin, la scène se passe devant le Châtelet ; on y voit un muret blanc et des maisons à colombage recouvertes de plâtre.

D’où vient le plâtre ? Du sud : de Suresnes à Gentilly ; de la façade nord-est : de la butte Montmartre au plateau de Romainville où se trouvent des carrières exploitées depuis le XIIIe siècle. Sur la carte de 1880 on voit la fin de l’extraction intra-parisienne du plâtre. Le plateau va jusqu’à Nogent (transport fluvial). Sur le plan de 1717, la montagne est croquée à de nombreux endroits : Montmartre / Ménilmontant / plateau de Romainville. La limite extrême du gypse exploité est proche de l’enceinte de Charles V (cf. plan de Gérards de 1908). La voie qui va de Saint-Maur à Saint-Denis est la frontière entre la zone avec du plâtre et la zone qui n’en a pas. Il y a des plâtrières autour du gibet de Montfaucon du XIIIe à la fin du XVe siècle, comme on le voit dans les actes (1233, AN, S 216), le cartulaire et les comptes de Saint-Martin-des-Champs. Près de Charonne, se trouve également une vieille plâtrière (acte de 1208). L’exploitation est ancienne à Paris, puisqu’il y a des sarcophages en plâtre de l’Antiquité et de l’époque mérovingienne. Quand sont mentionnées des vieilles plâtrières, ce sont des plâtrières désaffectées. Autour du gibet de Montfaucon, ce sont des terres de décombre (cf. gravure de 1641). Victor Hugo évoque dans Notre-Dame de Paris une butte de plâtre.

Au début du XVIIe siècle, une estampe avec une vue de Paris montre des cratères dans le sol. Certains d’entre eux sont des sablonnières. Les autres sont des plâtrières. Ces trous s’appellent des cornets. D’après la thèse d’Ivan Lafarge soutenue en 2013 sur le plâtre (Le plâtre dans la construction en Ile-de-France : techniques, morphologie et économie avant l’industrialisation), les cornets sont des excavations abandonnées. Il y en a un peu partout dans Paris et aux alentours. Jusqu’à 1540, on creuse à ciel ouvert. En majorité ce sont des plâtrières de petite taille. À côté, on trouve des vignes dites au cornet. Il y a aussi des carrières plus grandes comme celle mentionnée en 1277 dans le cartulaire de Geoffroy Saint-Hilaire (AN, LL 40). On a commencé à creuser au début du XIIIe siècle et il y a des trous partout. Le chemin de Ménilmontant est rogné pendant au moins six siècles. Les hospitalières de Saint-Gervais y avaient par exemple trois arpents de terre transformés en carrières (cf. AN, S 6125). Le chemin de la plâtrière qui servait à apporter le plâtre est à présent la rue du Chemin vert. La vidange des carrières forme des buttes qui servent de gibets. Cela forme des paysages de désolation, comme les plâtrières à l’origine des Buttes-Chaumont. Henri Le Secq les a photographiées en 1852 : le paysage est véritablement lunaire.

Voir : https://bibliotheque.madparis.fr/opac/catalog/bibrecord?id=579720942251947832.

Les traces de ces carrières apparaissent à Charonne. En 1255, Notre-Dame fait un procès à un bourgeois qui a extrait du plâtre sans autorisation sur une terre qu’il avait louée et lui demande un cens plus élevé. En 1277, un accord est conclu entre les religieuses de Saint-Antoine et les moines de Saint-Martin-des-Champs à cause d’une plâtrière ouverte par les moniales sans l’accord des moines. Les moniales doivent alors payer un cens plus élevé. En 1407, est mentionnée une interdiction pure et simple d’ouvrir une plâtrière. Le lieu-dit La Rochette (petite pierre ; pierre à plâtre) est mentionné le long du chemin de Saint-Denis à Saint-Maur. On y trouve une plâtrière de 16 arpents (AN, S 225) exploitée par la famille Renault Le Coq. Les plâtrières ont pour vocation à devenir des espaces verts (cf. 1555). En 1541, La Rochette est devenue La Roquette (cf. Alain Corbin, Fragilitas : le plâtre et l’histoire de France, 2023). Une grande carrière est aménagée ensuite par les Jésuites pour devenir le cimetière du Père Lachaise.

Selon Ivan Lafarge, on trouve de nombreuses rues au plâtre, aux plâtrières etc. mentionnées à Paris et dans sa proche banlieue. Il y a aussi le port au plâtre près de la Seine et près de la rue de La Roquette. Le plâtre venait par la Marne, mais aussi par terre. Le plâtre de Paris pouvait peut-être être exporté, mais on ne le sait pas. Le plâtre cru servait de moellon. Le plâtre cuit était chauffé pendant 10 heures, battu par des batteurs et mis en sac. Il y a donc trois métiers : extracteur / fournier / batteur de plâtre. Le plâtre est une matière très fragile qui doit être utilisé dans les 24-48 heures après sa fabrication. Les plâtrières se trouvaient en général près des chantiers de construction dans Paris. Le plâtre cru peut rester quelques jours dans les bateaux. Il a été utilisé dans les fondations jusqu’au XVIIe siècle. L’enluminure de Fouquet montre au premier plan du plâtre cru (moellon) et du plâtre cuit au second. Les plâtriers apparaissent dans la toponymie : il y a par exemple une rue que l’on dit aux plâtriers. Ils sont par exemple mentionnés dans un compte du temple de 1252-1253 (AN, MM 128). On les trouve dans les rôles de la taille et dans le Livre des métiers, dans lequel les métiers de la pierre ont été mis ensemble (carriers, plâtriers, mortelliers, maçons). La Porte du Chaume a peut-être été ouverte pour laisser le passage aux plâtriers. Ces carrières sont la propriété de nobles ou de bourgeois qui emploient des carriers, des plâtriers et autres ouvriers.

Les XIIIe-XVe siècles sont une période d’intense construction dans Paris. Après la guerre de cent ans, avec la reconstruction, des territoires qui n’avaient pas été exploités auparavant l’ont été du côté de Ménilmontant. Des terrains en friche sont alors repris pour y faire des plâtrières. D’après une vue de Paris en 1730 montrant des exploitations, les carrières y sont très profondes, avec des fours, des batteurs de plâtre pour le mettre en poudre puis en sac, des charrettes pour le porter à Paris. Les plâtrières sont ensuite déplacées en dehors de Paris.

Discussion

Marlène Helias-Baron (MHB) : Quelle était l’extension du plateau de Romainville au nord de Paris ? Et comment était-il exploité ?

DG : Cet espace était exploité depuis Paris jusqu’à Bagnolet, Charonne et Nogent. Les Buttes Chaumont délimitent les 18e et 20e arrondissements. Cette exploitation s’est terminée vers 1850.

HN : Est-ce qu’on peut penser que cette exploitation remonte à la période antique ?

DG : Pour le chemin de Saint-Maur à Saint-Denis, son exploitation est certaine dès le VIIe siècle. Il manque les documents le prouvant. Paris est vue comme une ville de plâtre par Raoul Boutrais (1611). Elle porte le nom de ville blanche. Le plâtre sert à protéger contre les incendies.

CB : Les buttes de décombre ne peuvent pas être confondues avec les voiries.

DG : Il y a les gravois.

HN : Les voiries sont des décharges.

CB : Les voiries répondent à la nécessité de nettoyer Paris en passant par les voies. Est-ce qu’il y a un droit qui oblige à mettre ces décombres en un endroit précis ?

WM : Les voiries ont été étudiées par Nicolas Lyon-Caen. Les déchets sont entreposés avant d’être vendus pour les champs à l’époque moderne.

HN : On observe une surélévation du relief au niveau des voiries à l’extérieur des murailles de Charles V. On y met les moulins à vent. Ces buttes ont été générées par des siècles de déchets.

CB : Est-ce que l’on a des documents comptables permettant de comprendre l’intérêt d’un propriétaire d’installer ou nom une plâtrière ?

DG : Cela dépend du prix.

MW : Un lot avec une vigne vaut 12 sous par an et une carrière vaut 40 sous par an d’après un acte de 1492.

BB : Il y a une augmentation du cens pour le propriétaire s’il y a une carrière, mais c’est un métier dévalorisé.

DG : Il y a un prolétariat. Ce sont des métiers occupés par des primo-arrivants pour les batteurs de plâtre.

BB : Le propriétaire de la carrière n’est pas celui qui exploite directement. Il salarie.

DG : À la fin du XVIe siècle, de plus en plus de plâtriers sont propriétaires des terres.

MW : Il y a une concentration sur place de la production.

DG : De grandes fortunes se font avec le plâtre du XVIe au XVIIIe siècle.

CB : Le plâtrier n’est pas un prolétaire. Il a des ouvriers qui s’occupent du four, d’autres qui battent le plâtre. Une plâtrière est une petite entreprise avec un patron. Ce sont des structures de production complexes reposant sur une organisation du travail.

MW : À l’époque moderne, ils font tout sur place.

DG : De grosses fortunes se construisent sur le plâtre.

Michel Lepetit (ML) : Comment se recycle le plâtre ?

DG : Le plâtre est une matière éphémère qui nécessite d’être refaite. On parle de plâtras pour ce qui est réutilisé. On le voit par la suite. À Belleville, il y a des maisons en plâtras au XIXe siècle.

ML : Est-ce que l’on a des traces de réutilisations ?

DG : Dans des actes de l’époque moderne, on demande des matériaux neufs.

BB : Les voiries sont faites pour les gravats. Si cela fait des monticules au XVIe siècle, c’est que c’est massivement jeté. Si le plâtre est fragile, ils ne peuvent pas travailler quand il pleut.

CB : Le plâtre ne serait fait qu’au dernier moment.

DG : Ils peuvent avoir des stocks de moellons.

HN : Sur l’enluminure de Fouquet, on peut faire la différence entre le plâtre cru et le plâtre cuit ?

DG : En tout cas, c’est bien blanc. Un édit de Charles VII indique qu’il faut mettre du plâtre dans l’âtre des cheminées pour protéger contre l’incendie.

MW : Les couleurs des enluminures posent problème. Les couleurs ont pu vieillir.

BB : Il y a une lecture idéologique des enluminures. Les zones périphériques de Paris telles qu’elles y sont dépeintes sont loin de ce qu’il y avait réellement au XVe siècle. C’était probablement des entrées de ville moches avec les voiries et les carrières. C’était probablement un paysage lunaire.

BD : Il y a donc une permanence pour la zone périurbaine, c’est à la fois une zone d’exploitation et de rejet. Les détritus sont envoyés au champ. Comme pour Montreuil ou Nanterre, c’est la « zone » jusqu’aux années 1960, une zone de bidonvilles.

ML : Le nom de famille Plâtrier est-il très fréquent ? Peut-on en tirer quelque chose ?

MW : Le mot « plâtrier » peut aussi désigner un maçon. 

Prochaine séance « De la carrière au chantier (2) » :  14 février 2025

Séminaire_Paris au Moyen Âge_20250124


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Marlène Helias-Baron (13 février 2025). Séminaire Paris au Moyen Âge du 24 janvier 2025 [2] : « De la carrière au chantier (séance 1) ». Les carnets de l'IRHT. Consulté le 15 mars 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13b5t


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